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Mes Nuits Américaines
1 mai 2011

Les belles effrontées de Lucas Cranach

 

A l’occasion de sa réouverture après un an de travaux, le Musée du Luxembourg propose jusqu’au 23 mai une plongée dans l’œuvre charnelle de Lucas Cranach (l’Ancien), à travers soixante-quinze de ses œuvres et de celles de ses contemporains, tableaux dessins, gravures, médaillons.

 cranach_2__c__Washington_National_Gallery_of_Art

Figure majeure de la Renaissance allemande, Lucas Cranach (1472-1553) débute en fréquentant les milieux humanistes du début du XVIe siècle et en peignant des tableaux religieux emplis d’un lyrisme symbolique.

Mais c’est en 1505, alors qu’il s’établit à Wittenberg et devient peintre officiel de la Cour de l’Electeur de Saxe, Frédéric le Sage, que sa carrière connait un essor considérable. Une position rarissime qui fit de Cranach un des personnages les plus riches de la ville. Portraits officiels et scènes de chasse côtoient alors les Sainte-Famille et les Vierges à l’enfant signés des armoiries du peintre (un dragon ailé portant un rubis), devenues marque de fabrique.

frederic_le_sageA la tête pendant près de cinquante ans d’un atelier où travaillent ses deux fils ainsi qu’une dizaine de compagnons, il produit une quantité d’œuvres phénoménale (près d’un millier d’entre elles nous sont parvenues) à la manière d’une véritable usine où l’on peignait, on gravait, on illustrait, on imprimait des livres et on réalisait des fresques pour les palais. Mais pour répondre à l’afflux de commandes, le voilà forcé de simplifier, styliser, standardiser sa production, imitant sans cesse les mêmes formes et les mêmes motifs d’une œuvre à l’autre.

Mais ce qui fait la particularité du travail de Lucas Cranach, c’est l’intensité avec laquelle le peintre allemand rend compte de la sensualité des corps dénudés. Si les nus font florès dans la peinture italienne de la Renaissance, il est un des premiers à les introduire, en 1509, au Nord des Alpes.

Utilisant comme prétexte des sujets bibliques, mythologiques ou allégoriques, il sublime et illumine la lascivité du corps féminin. Peintre de la peau, il donne à ses carnations des teintes laiteuses de poupées de porcelaine, sous lesquelles pourtant coule le sang et frémit la chair. C’est avec la même ferveur charnelle qu’il peint une quarantaine de représentations de Vénus, autant d’Eve et de Lucrèce, une douzaine de nymphes, d’Aphrodite, d’Athéna ou d’Héra, et une vingtaine de Judith, dont la volupté capte immédiatement le regard. S’éloignant des canons de beauté italiens, Cranach déploie toute la finesse de son art pour privilégier les courbes raffinées, les silhouettes longilignes, les visages graciles et les positions suggestives. Obsessions et vertiges de la chair qui, des siècles plus tard, fascineront des peintres comme Kirchner ou Picasso.

lucreceSeulement, chez Cranach, entre érotisme et morale, le message est ambigu : la beauté des corps qu’il donne à voir est justement celle dont il faut se méfier. Une tension ambivalente exacerbée par la séduction qu’exerce la peinture, mais contrebalancée par un ensemble de symboles et d’inscriptions comme autant de mises en garde adressées directement au spectateur contre cette même séduction : « De la nymphe de la source sacrée, ne trouble pas le sommeil, je me repose »…

Proche de Martin Luther, lui aussi établi à Wittenberg, Cranach incarne le protestantisme, valorisant la chasteté, stigmatisant les vices, et estimant que l’amour, dans sa capacité à soumettre les caractères, est dangereux. Mettant son art au service du Réformateur, il détourne ses thèmes de prédilection pour illustrer ses propos. Et ses héroïnes Judith ou Lucrèce de devenir des figures de la lutte contre l’oppression catholique de Charles Quint et de la résistance des protestants.

Mises en regard au travail de Cranach, des œuvres de ses contemporains dont il s’est inspiré, dans les thèmes notamment, mais dont il s’est éloigné dans la représentation : le peintre et graveur de Nuremberg Albrecht Dürer, dont l’œuvre est plus marquée par une forme de rigorisme que celle de Cranach ; Lucas de Leyde, le rival néerlandais de Dürer ; le dernier des primitifs flamands Quentin Metsys, fondateur de l’Ecole d’Anvers ; ou encore le Vénitien Jacopo de’ Barbari, peintre officiel de l’Empereur germanique Maximilien 1er.

A la croisée du primitivisme flamand et de la Renaissance italienne, Lucas Cranach signe l’une des œuvres les plus troublantes de son époque, entre didactisme réformateur et séduction érotique.

 

Cranach et son temps – Musée du Luxembourg

Jusqu’au 23 mai 2001

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