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Mes Nuits Américaines
17 mars 2011

Hervé Guibert, la photographie comme pratique amoureuse

HG_SienneJusqu’au 10 avril, la Maison européenne de la Photographie présente l’œuvre photographique du journaliste et écrivain Hervé Guibert, mort du Sida en 1991.

 

Vingt ans après sa mort, en 1991 à l’âge de 36 ans, Hervé Guibert est aujourd’hui reconnu comme un des plus brillants exemples de l’écriture du dévoilement de soi. Auteur d’une vingtaine de romans, d’essais et de recueils de nouvelles portés par un style direct et flamboyant, il n’a cessé de mettre en scène sa propre existence maquillée de fiction, et fut l’un des premiers à faire de sa séropositivité un sujet littéraire, avec L’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990) qui connait un certain succès.

Son œuvre photographique, qu’il a commencé à 17 ans quand son père lui offre un petit Rollei 35, n’est que la continuité de son travail littéraire, l’un l’autre s’accompagnant et s’enrichissant mutuellement. L’exposition qui se tient cette année à la Maison Européenne de la Photographie, organisée par les commissaires Christine Guibert (la compagne de son amant Thierry qu’il épouse en 1989) et Agathe Gaillard (galeriste qui organise une première exposition de ses clichés en 1984), est la première rétrospective en France consacrée au travail photographique de l’écrivain. Y sont présentés quelque 230 tirages d’un noir et blanc somptueux, ainsi que le film La Pudeur ou L’Impudeur(diffusé en 1992 sur TF1), chronique d’une déchéance physique où Hervé Guibert se met lui-même en scène dans son quotidien de malade.

HG__2_Après avoir débuté comme critique de cinéma dans Combat, 20 ans, Cinéma et Les Nouvelles Littéraires, Hervé Guibert collabore dès 1977 au journal Le Monde, où Yvonne Baby, fondatrice et responsable du service Culture, lui commande des articles sur l’actualité photographique. Jusqu’en 1985, lui qui découvre la photographie en même temps que ses lecteurs, rencontra ses plus grands représentants (André Kertesz, Henri Cartier-Bresson) et fera beaucoup pour que la photographie soit reconnue comme un art à part entière auprès du public.

Si le Sida a joué un rôle majeur dans la création artistique de Guibert, l’écrivain-photographe a toujours été fasciné par le funèbre et le mortifère, bien avant d’apprendre sa séropositivité en 1988. Pour preuve, ses première séries de photographies d’écorchés d’écoles de médecine, de figures de cire du musée Guimet ou encore de têtes monstrueuses conservées dans le formol au Musée de l’Homme.

HG_BibliothequeMais la grande question qui traverse tout l’œuvre photographique de Guibert est celle de l’intimité. Avec ses clichés tantôt pris sur le vif, tantôt mis en scène, il parle de son univers, de son quotidien, de son entourage et de ses relations, avec une forte charge affective et nostalgique : « Ne photographie que tes extrêmes familiers, tes parents, tes frères et tes sœurs, ton amoureuse. L’antécédent affectif emportera la photo » déclare-t-il dans L’Image fantôme.

Ce sont donc des lieux (les rues de Vaugirard, du Moulin vert, Raymond-Losserand, Santa Catarina, la maison de l’île d’Elbe), des appartements, des chambres, des lits, des fauteuils, des bibliothèques, des tables de travail, autant d’endroits habités et imprimés sur la pellicule. Des objets du quotidien, stylo Mont-Blanc, vieille machine à écrire Royal, tableaux, livres, fleurs, deviennent héros de natures mortes personnelles, moments suspendus entre l’intime et l’universel.

HG_ThierryMais ce sont aussi des corps et des visages. Des parents, des amis, des amants, qui devant l’objectif deviennent des personnages. Au hasard des clichés, on croise des visages connus : Isabelle Adjani, avec qui il a entretenu une relation privilégiée, le philosophe Michel Foucault, qui a joué un grand rôle dans sa vie, le photographe Hans-Georg Berger, le cinéaste Orson Welles ou encore le metteur en scène Patrice Chéreau, avec qui il a travaillé. Mais aussi des visages inconnus, qui résonnent sentimentalement avec son œuvre littéraire : Thierry, le T. de ses romans, l’amour de sa vie rencontré en 1976, ou Vincent, un adolescent d’une quinzaine d’années qui le fascine, à l’origine de son roman Fou de Vincent, et bien d’autres amants, photographiés avant ou après l’amour. Ou encore ses parents, dont le portrait doux et apaisé est à mille lieues de l’image littéraire que Guibert en fait dans son roman Mes parents, où il explore la répulsion qui lui inspire ses géniteurs. Preuve s’il en est que toute son œuvre n’est qu’un amas de souvenirs exacerbés et réinventés.

HG_Suzanne_et_LouiseIl y a aussi cette incroyable série de photographies consacrée à ses deux grands-tantes, Suzanne et Louise, à l’origine d’un roman-photo publié en 1980. Deux vieilles femmes fantasques à la crinière sauvage et au visage abîmé, avec qui Guibert entretenait une relation atypique et parfois perverse, faite d’amour, d’affection et de complicité. Les séances photos étaient pour lui l’occasion de mettre en scène d’étranges jeux amoureux où la limite entre l’enfance et la vieillesse s’évanouissait.

A l’image de son œuvre littéraire dont il est le sujet principal, l’autoportrait parcours également l’œuvre photographique de Guibert. Avec préciosité et narcissisme, lui qui a voulu à travers la création sublimer son existence, se met en scène, jusqu’aux premiers signes de la maladie, dans des compositions faites de clairs-obscurs, d’ombres et de rayons de soleil, signe d’un vrai sens de la lumière.

A travers ce parcours photographique émouvant et fascinant, miroir de l’œuvre littéraire de Guibert, on découvre une sorte de journal intime en images, qui, loin de toute recherche artistique ou formelle, capte des instants de réel.

HG_Autoportrait_NYC 

 

Hervé Guibert, photographe - Maison Européenne de la Photographie

Jusqu’au 10 avril 2011

 

© C. Guibert/Collection Maison Européenne de la Photographie

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