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Mes Nuits Américaines
23 mars 2010

L.A. Story, de James Frey

                Avec L.A. Story, un roman choral et dense sur la cité des anges, James Frey, l’enfant terrible de la littérature contemporaine américaine, revient sur le devant de la scène. Cet auteur fou de Kerouac et d’Henry Miller s’était fait connaître en 2001 avec Mille Morceaux, un vrai faux récit au style déroutant, maintes fois refusé par les éditeurs avant d’être publié, qui déclencha une polémique. Le livre, qui raconte la cure de désintoxication d’un dépendant à l’alcool et au crack, est vendu à la presse comme un témoignage. Le milieu médiatique s’emballe devant ce modèle de rédemption, et James Frey, invité par la prêtresse des talk-shows télévisés, Oprah Winfrey, en rajoute dans le mensonge en s’inventant un passé de taulard… Jusqu’à ce qu’un site Internet révèle grande supercherie menée par l’auteur et son éditeur. Ceux qui, si peu de temps avant, l’avaient porté aux nues, désormais l’assassinent dans les règles de l’art. Frey se réfugie alors en France où il entame l’écriture de L.A. Story.

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                L.A. Story. « L’histoire de Los Angeles », au sens narratif du terme. L’histoire ou plutôt les histoires, les multiples histoires qui dressent le portrait d’une ville aux multiples facettes. Différents récits qui sont autant d’autoroutes (Los Angeles en compte pas moins de 37), de boulevards, d’avenues ou de rues qu’empruntent ses personnages. James Frey, lui, s’engage sur la voie de tous les possibles coexistants dans cette ville tentaculaire et inatteignable, qui plus qu’un cadre, est le personnage central du roman. Les magasins de luxe de Beverly Hills, les strass et les paillettes d’Hollywood, les avenues ensoleillées et touristiques de Venice Beach cohabitent avec la violence, la pauvreté, les inégalités, parfois même le chaos qui règnent aussi bien dans les quartiers périphériques (Watts, South L.A.) que derrière les apparences des quartiers centraux. Los Angeles, ville du rêve, qui au prix de ses illusions, cache bien souvent du sordide, mais quelquefois tout de même un peu d’espoir. Une ville pleine d’excès et de contradictions.

couverture                Pour transcrire les mille éclats de ce faux diamant, James Frey ne fait pas le choix d’une linéarité narrative inadaptée à la démesure de Los Angeles, mais opte pour un récit fragmenté où les destins se croisent dans une fresque urbaine entre bitume et océan. Ce sont des dizaines et des dizaines de vies d’hommes et de femmes, portés par la même volonté d’atteindre une forme de bonheur dans une ville qui leur promet trop. Certains apparaissent, le temps de faire leur connaissance, et disparaissent immédiatement. D’autres prennent le temps de raconter leur histoire, comme Barry, créateur d’un golf miniature ou Larry, marchand d’armes haineux. D’autres encore ne sont que des esquisses, des silhouettes en fond de scène ou des noms égrenés dans des listes sans fin. Parmi cette kyrielle de personnages, James Frey braque son projecteur sur quatre histoires, quatre combats humains, quatre échantillons représentatifs de la population angelinos, quatre personnages qui pourraient chacun faire l’objet d’un roman à part entière. Dylan et Maddie, deux jeunes amoureux, fuient leur Ohio natal et leur famille, et débarquent à Los Angeles espérant une vie meilleure. De petit boulot en occasion ratée, de chambre de motel en appartement miteux, ils vivent d’amour, de pizzas et d’eau fraîche. Vieux Joe, clodo au grand cœur qui malgré les apprences n’a pas 70 mais bien 38 ans, passe ses journées à boire du Chablis, de la jetée de Venice Beach aux toilettes d’un restaurant pour touristes. Amberton Parker et son épouse Casey, stars de cinéma richissimes, forment en apparence un couple parfait, mais dont la vie n’est que mensonge et hypocrisie. Esperanza, née de parents mexicains juste après la frontière américaine, aspire à devenir quelqu’un, malgré les discriminations dont elle est la victime et le peu d’estime qu’elle a d’elle-même.

                Des personnages qui pourraient être archétypaux, si l’auteur ne leur insufflait pas un caractère et une force qui les empêchent d’être réduits à une simple étiquette. Ces histoires, James Frey les interrompt par des intermèdes, repères historiques ou constats actuels sur la ville, sa géographie, sa population, son extension, ses ressources, son marché de l’emploi, ses inégalités sociales… Ici une liste des dizaines de gangs qui sévissent à Los Angeles, là, l’évocation des centaines d’ex-militaires hospitalisés pour traumatismes physiques ou mentaux. Ou encore celle des catastrophes naturelles, celle des milliers de jeunes qui viennent tenter leur chance, celle des lois comiques en vigueur, celle des autoroutes… L’ensemble, à l’image de la ville, fait du roman de Frey un monstre à la beauté impitoyable.

                Car, même sous la plume de Frey au style brut et original nourri de détails et avare en ponctuation, Los Angeles reste irrémédiablement attirante, effrayante, certes, mais terriblement séduisante. (Thomas Lapointe)

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